1- La conception des piles

   Une rapide description des piles

   Le viaduc de Millau repose sur 7 piles. Pour améliorer la compréhension, nous allons numéroter ces piles de P1 à P7.

   La particularité des 7 piles réside en une variation constante de leur géométrie : creuses, leur forme en losange tronqué n’a rien de linéaire, chaque angle est différent. Mais la forme générale des piles est novatrice. En effet, ces sept piles sont construites en fûts doubles, c’est à dire que leur base ressemble à un caisson, et qu’ensuite à partir de que les piles se dédoublent sur les quatre-vingt dix derniers mètres, cela ressemble à un Y. Cette forme spéciale a été choisie afin de résoudre de délicats problèmes de dilatation thermique.  La section des piles varie en continu de 200 m² à la base jusqu'à 30 m² au sommet des pylônes. Chaque pile est distante de sa voisine de 340 m.

Elévation transversale de la pile P2 du viaduc de Millau. Sur la gauche la coupe qui donne une idée de la forme de la pile Elévation de la pile P2 du viaduc de Millau

Un exemple de pile : la pile P6

   Voici la hauteur d’où culminent les piles :

                                               P1 : 94,50 m

                                               P2 : 244,96 m

                                               P3 : 221,05 m

                                               P4 : 144,21 m

                                               P5 : 136,42 m

                                               P6 : 111,94 m

                                               P7 : 77,56 m

   La pile P2 et son pylône atteignent une hauteur de 343 m, soit plus que la tour Eiffel qui mesure 302 m de haut, ce qui fait du viaduc de Millau le pont haubané le plus haut du monde.

  Même le nombre d'or, F (phi), réputé pour être celui de la "divine proportion", que l'on retrouve dans un grand nombre d'ouvrages d'art ( pyramide de Kheops...) a été respecté. Les mesures de la travée située au-dessus du Tarn, entre les piles P2 et P3, donnent une équation qui aboutit à ce fameux nombre.

   Pourquoi avoir choisi cette forme pour les piles ?

    Cette forme peut s’expliquer de deux manières différentes et complémentaires.

            > Tout d’abord, l’aspect allongé de la pile participe à avoir une meilleure prise au vent. En effet, la pression exercée par le vent sur la pile est proportionnelle à l’accélération que doit avoir le vent pour la contourner ( c’est ce principe même qui fait voler les avions, l’air accélère sous l’intrados de l’aile, c’est l’effet venturi – voir encadré - ). Plus l’obstacle est grand, est plus le vent doit accélérer pour le contourner, et donc les risques de dépression et de formation de mini tornade sont élevés.

 

   Il faut en effet savoir que le vent est très présent dans la causse du Larzac, et l’effet venturi dans la causse n’arrange rien, le flux sud-ouest a tendance à accélérer dans ce goulot  formé par la vallée. Les vents peuvent atteindre des vitesses supérieures de 25 % à celles mesurées à la station météo toute proche, et donc se montrer très violent.

   C’est pourquoi le fait de construire des piles allongées et fendues à 90 m sous le tablier plutôt qu’hexagonales favorise la prise au vent et évite les dépressions qui risqueraient de faire basculer les piles ou tout au moins de les faire osciller.

    Mais l’obstacle est bel et bien toujours présent et des dépressions se forment par conséquent au niveau des piliers. Pour y remédier, les ingénieurs ont donc choisi de construire des piles parfaitement symétriques afin que les dépressions se compensent de chaque côté de la pile et que cette dernière  évite alors de bouger.

> Ensuite, il existe un autre facteur qui intervient dans la forme et l’orientation des piles.

   L’inertie de la pile joue un rôle très important dans sa formation, cela correspond à une valeur mesurant le risque que l’objet se casse.

   Ainsi on comprend mieux la forme des piles, elle a en effet une inertie beaucoup plus grande que si elle était de forme hexagonale ou positionnée dans l’autre sens. Les effets du vent sur les piles ont du être du être un problème majeur lors de la construction du viaduc, qui a été résolu par la forme dont disposent les piles aujourd’hui.

             

Forme de la pile P2 ( le vent vient taper perpendiculairement à la pile )

     On se rend rapidement compte que le viaduc est soumis à de nombreuses contraintes qu’il était important d’étudier avant sa construction. Toutes ces contraintes sont principalement physiques et consécutives aux forces s’opposant au viaduc que la taille ne favorise pas. Le viaduc de Millau apparaît alors comme une prouesse technologique tant par sa taille que par la qualité des études qui ont été faites à son propos.

     Ainsi, le vent et l’inertie des piles ont obligé les ingénieurs à choisir cette forme allongée et élancée qui résout beaucoup de problèmes.

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2- La montée des piles

De solides fondations pour soutenir les piles

     Afin de soutenir les sept piles du viaduc, les ingénieurs ont opté pour la technique des puits marocains. Sous chaque semelle sont creusés des puits (4 par semelle ), larges d’environ 1 m, et profonds de 20 m environ. Sur le site du viaduc, le matériau remplissant les piles dépend du type de terrain ( en terrain meuble, un blindage lourd est utilisé, tandis qu’en terrain rocheux c’est un blindage léger, ceux-ci dépendant du type de béton ).

     Les puits marocains soutiennent une semelle, dont l’épaisseur varie entre 3 m et 5 m. Celle-ci est réalisée de façon «  traditionnelle » à l’aide d’un coffrage sur toute la hauteur qui est maintenu en pied à l’aide de tiges d’ancrage. Les semelles représentent des coulées de bétonnage variant de 900 à 2100 m3. Ensuite on lève la pile du viaduc sur la semelle ainsi construite.

L’élévation des piles

     Chacune de ces aiguilles de béton est un véritable chantier à l’intérieur du chantier du viaduc. C’est un avantage : toutes les piles « montent » en même temps, ce qui offre un gain de temps considérable. Ainsi une trentaine de personnes travaillaient en permanence sur chacune d’elles. Et la hauteur de ces piles est telle qu’il n’est pas question d’utiliser un échafaudage. Les ouvriers accèdent au somment grâce à un ascenseur dont les rails s’élèvent au fur et à mesure de la construction.

     Une technique très spécifique et révolutionnaire a été utilisée pour bétonner les piles: le coffrage auto-grimpant, qui permet au piles de gagner 8 mètres environ par semaine.

 Les acrobates des travaux publics

      Les sept grues présentes sur le chantier ( grues à tour Potain K/50C ) ont elles-aussi un rôle primordial dans la « montée » des piles. En effet les grues soutiennent le réservoir à béton liquide qui sert à couler la paroi, mais elles ont aussi pour mission de positionner les coffrages internes. L’édification de la plus haute pile du chantier nécessite la construction d’une grue record. S’élevant avec la pile par ajouts successifs d’éléments, elle atteindra, au final, 270 m ! Au niveau humain, les conditions de vie du grutier sur le chantier sont sans conteste les plus difficiles. Il a une vie d’ermite, monté le matin vers 6 heures, il ne redescendra le soir qu’à 19 heures. Mais il dispose au sommet de son perchoir de tout le confort moderne, une salle de pause avec coin cuisine, cabinet…

Quel fut le rôle des palées provisoires ?

Les palées provisoires soutenaient le tablier entre chaque poussée lors de sa mise en place, c’était des appuis supplémentaires. Ces palées étaient au nombre de 7 ( en effet il n’y en avait pas au-dessus du Tarn ) et étaient placées à mi-distance entre deux piles. Ces palées rouges étaient en acier, et ont poussé « comme des champignons », grâce à un système hydraulique télescopique, à raison de 12 mètres par 24 h soit 50 cm par heure. Elles furent démontées une fois le tablier installé et les haubans définitivement mis sous tension.

 

Les matériaux utilisés lors de la construction

Le principal type de béton utilisé est le béton B60, novateur et obéissant à des critères de qualité exceptionnels. La quantité totale de béton coulé pour l’ouvrage est de 85 000 m3. Pour fournir les quelques 70 000 tonnes de sable et 80 000 tonnes de gravillons nécessaires, une carrière de 70 mètres de profondeur sur 22 hectares a été ouverte à la causse rouge. D’énormes quantités d’aciers ont également été utilisées sur le chantier.